En route vers une réalisation – Privilégier la mise sous séquestre plutôt que la liquidation en vertu de la LACC

line

Auteur: Jason Dolman

Publication ǀ le 12 avril 2022

Dans une décision rendue le 30 mars 2022, l'honorable Philippe Bélanger de la Cour supérieure du Québec a rejeté une demande présentée par un prétendu créancier titulaire d'hypothèque légale de la construction en vue d'obtenir une ordonnance initiale en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagniesLACC ») et a plutôt accueilli une demande du créancier hypothécaire conventionnel de premier rang, Romspen Investment Corporation (« Romspen ») pour la nomination d'un séquestre en vertu de l'art. 243 de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (« LFI »).

Fishman Flanz Meland Paquin s.e.n.c.r.l. a agi pour Romspen dans cette affaire et son projet d'ordonnance nommant un séquestre a été adopté par la Cour dans son intégralité.

La décision donne non seulement un aperçu de la façon dont les tribunaux évaluent les demandes concurrentes de mise sous séquestre et d’ordonnance en vertu de la LACC, mais a également été une rare occasion d'examiner la capacité des parties avec des créances contestées ou non-liquidées à demander des ordonnances en vertu de la LACC. On y aborde également le large éventail de pouvoirs qui pourraient être accordés aux séquestres.

RÉSUMÉ DE LA DÉCISION

Société en commandite Flora 1 (« Flora ») a acquis un terrain vacant pour le développement de trois tours d'unités de copropriétés résidentielles comportant également des unités commerciales et des garages souterrains. 9186-9297 Québec inc. (« Upbrella ») a été retenu pour agir comme entrepreneur général pour le projet, et Flora et son commandité, 10542113 Canada Inc. (« 105 » et avec Flora, les « débitrices »), ont obtenu du financement de Romspen pour le projet.

Le projet a débuté en juin 2019, et des acheteurs potentiels d'unités ont signé des contrats préliminaires et fourni des dépôts qui ont été garantis par le créancier garanti Aviva Insurance Company of Canada (« Aviva »). Le projet n’était que partiellement complété lorsque Flora a résilié le contrat de construction à prix fixe d'Upbrella en avril 2021 et, en remplacement d’Upbrella, a retenu les services des Entreprises QMD inc. (« QMD ») à titre d'entrepreneur général. Les travaux sur le projet ont finalement cessé en décembre 2021.

Flora et Upbrella ont intentés des poursuites l'une contre l'autre. Flora réclamait plus de 13 000 000 $ à Upbrella et demandait l'annulation de l'avis d'hypothèque légale de la construction publié par Upbrella, alléguant qu'Upbrella était responsable des retards de construction et qu'elle avait faussement représenté l'état d'avancement des travaux. Upbrella et Romspen ont chacun cherché à exercer des recours hypothécaires distincts pour vendre le projet de Flora sous contrôle de justice.

Les parties faisant valoir des créances garanties contre les débiteurs comprenaient Romspen, Upbrella, QMD, divers sous-traitants et Aviva. HRM Projet Villanova inc., un ancien commanditaire de Flora, a également fait valoir une créance garantie pour le solde qui lui serait prétendument dû pour la vente de ses intérêts.

La Cour a noté que Flora était insolvable et n'avait aucun financement pour achever le projet. Toutes les parties faisant valoir des réclamations garanties ont souhaité être payées dans les meilleurs délais et ont convenu qu'un processus de vente du projet devait être mis en œuvre sans plus tarder pour obtenir une réalisation maximale. La question pour la Cour était de déterminer si le processus de vente devait être dirigé par un contrôleur en vertu de la LACC ou par un séquestre en vertu de la LFI.

En décidant de nommer un séquestre au lieu de rendre une ordonnance initiale en vertu de la LACC, la Cour a considéré que :

  • Flora préférait la nomination d'un séquestre plutôt qu'un processus en vertu de la LACC;
  • la plupart des créanciers garantis (dont Romspen et la plupart des sous-traitants faisant valoir des hypothèques légales), qui supporteraient le risque financier d'un produit de vente réduit ou d'honoraires supplémentaires, préféraient la nomination d'un séquestre ;
  • Flora est une entité à vocation unique sans activité courante ni salariés, dont l'actif principal est un projet de construction partiellement achevé destiné à être vendu à court terme ;
  • il n'y avait pas de plan « hautement susceptible de réussir », car aucune partie n'avait proposé de plan d'arrangement pour permettre à Flora de restructurer sa dette ou de compléter le projet ;
  • Upbrella n'avait pas prouvé que les outils de restructuration ou la flexibilité de la LACC étaient essentiels pour maximiser la valeur du projet ;
  • les professionnels qui avaient été proposés pour les rôles respectifs de contrôleur et de séquestre étaient très compétents et capables de procéder à la vente, et le fait que le contrôleur proposé avait déjà agi dans la restructuration de l'associé commanditaire de Flora ne justifiait pas sa nomination a titre de contrôleur à la place du séquestre proposé par Romspen ;
  • certaines des créances des titulaires d'hypothèques légales avaient déjà été réglées par Flora, avec le soutien financier de Romspen, et un séquestre pourrait traiter les réclamations restantes ; et
  • dans des cas similaires impliquant la vente de projets de construction partiellement achevés, les tribunaux ont eu tendance à nommer un séquestre au lieu de rendre une ordonnance initiale en vertu de la LACC.

En plus des facteurs ci-dessus, la Cour a fait les observations suivantes qui intéresseront particulièrement les professionnels de l'insolvabilité:

  • L'ordonnance en vertu de la LACC n'a pas été demandée par les débiteurs, mais par Upbrella, une partie prétendant être un créancier, mais dont la réclamation a été contestée par les débiteurs. Le juge Bélanger a reconnu qu'une ordonnance en vertu de la LACC peut être demandée par un créancier et qu'il ne pouvait pas à ce moment déterminer le statut de la réclamation d'Upbrella. Il a déterminé qu’au-delà de l'identité du créancier qui demande l'émission d'une ordonnance initiale en vertu de la LACC, il faut d'abord et avant tout considérer et retenir le processus qui, dans l'intérêt de tous les créanciers, permet de maximiser la valeur des biens de Flora. Les faiblesses apparentes de sa créance ne sont pas, en eux-mêmes, des motifs pour écarter une ordonnance qui est dans l'intérêt des créanciers. La Cour a distingué le contexte de la LACC du fardeau imposé à un créancier demandant une ordonnance de faillite en vertu de la LFI, qui doit établir une créance non garantie d'au moins 1 000 $.
  • Bien que la Cour n'ait pas accepté à ce stade qu'une ordonnance de dévolution inversée serait essentielle à la vente du projet (afin de préserver les permis de construction), elle a semblé suggérer qu'un séquestre pourrait se voir accorder le pouvoir de procéder à cette vente. Le tribunal qui nomme un séquestre en vertu de l'art. 243 LFI peut lui autoriser à « prendre toute autre mesure qu’il estime indiquée ».

Dans une analyse distincte, la Cour a examiné des propositions concurrentes de financement temporaire super-prioritaire et a retenu la proposition offerte par Romspen, en tenant compte des facteurs suivants :

  • L'offre de Romspen était plus avantageuse pour Flora et ses créanciers, en ce qu'elle ne prévoyait aucun frais de mise en place ou « standby » et qu'elle prendrait rang après les réclamations des titulaires d'hypothèques légales de la construction. L'offre de financement temporaire de Romspen avait l'appui de Flora et de la plupart des détenteurs d'hypothèques légales. Le juge Bélanger a jugé inapproprié que le prêteur temporaire proposé par Upbrella (le « prêteur LACC proposé ») ait écrit à la Cour avec une offre améliorée après la fin de l'audience. Il déclarait qu’il ne s'agit pas d'un encan dans le cadre duquel le prêteur LACC proposé bénéficie du droit d'égaler les conditions offertes par Romspen. Cependant, même si toutes les conditions avaient été substantiellement similaires, la Cour aurait quand même permis à Romspen de fournir le financement temporaire afin de protéger sa « peau dans l'aventure ».
  • Le financement proposé par le prêteur LACC proposé était de 2 000 000 $, comparativement à 850 000 $ offert par Romspen, en grande partie en raison d'honoraires professionnels considérablement plus élevés prévus par le prêteur LACC proposé.
  • Le financement proposé par le prêteur LACC proposé aurait accordé aux honoraires encourus par le conseiller juridique d'Upbrella un rang super-prioritaire par rapport aux sûretés de Romspen, de sorte que les honoraires d'Upbrella auraient été indirectement payés par Romspen, ce qui était inapproprié.
  • L'article 11.2 de la LACC permet que le financement temporaire soit demandé par « la compagnie débitrice », et non par un créancier. La Cour n'a pas décidé si l'art. 11 de la LACC permettrait à une cour de donner suite à une telle demande par un créancier, mais a constaté que la « compagnie débitrice » dans cette affaire, Flora, a requis le financement temporaire de Romspen.

POINTS À RETENIR DE LA DÉCISION

Cette décision réaffirme la tendance jurisprudentielle à privilégier la mise sous séquestre plutôt qu'une procédure de liquidation en vertu de la LACC dans le contexte d'une entité immobilière à but unique ayant un projet à vendre, en l'absence d'opérations en cours, d'employés ou de plan d'arrangement proposé. L'appui de l'ordonnance de mise sous séquestre par les débitrices et la majorité des créanciers garantis a également été un facteur très important dans cette affaire.

La Cour semble également avoir précisé que les créanciers avec des réclamations contestées ou non-liquidées peuvent avoir l’intérêt requis pour intenter une procédure en vertu de la LACC à l'égard de leur débiteur, et qu'une procédure en vertu de la LACC qui serait dans l'intérêt des créanciers ne devrait pas être refusée au seul motif que la créance de la requérante est contestée ou non-liquidée. Il n'est pas certain que le même raisonnement s'appliquerait à une demande en vertu de la LACC n’impliquant pas une liquidation, où d'autres intérêts concurrents seraient en jeu. Il serait exceptionnel qu'un tribunal permette à un créancier avec une créance litigieuse d’imposer une restructuration des opérations en cours d'un débiteur contre la volonté de ce dernier. Il est beaucoup plus courant et pratique pour les débiteurs de proposer leurs propres plans d'arrangement pour l'approbation de leurs créanciers.

La décision semble également ouvrir la porte à des demandes potentielles par des séquestres pour des ordonnances de dévolution inversées et potentiellement à d'autres pouvoirs qui n'ont généralement pas été exercés par des séquestres, voyant ainsi une convergence accrue des dossiers LACC et LFI.

En ce qui concerne le financement temporaire proposé, que ce soit pour un dossier en vertu de la LACC ou d'une mise sous séquestre, cette décision rappelle l'importance de formuler un budget raisonnable qui ne nuit pas indûment aux créanciers, ainsi que d’examiner attentivement quels créanciers prendront rang après la charge super-prioritaire.

Le juge Bélanger n'a pas tranché la question de savoir si l'art. 11 de la LACC pourrait permettre à un créancier de demander un financement provisoire, et il est loin d'être certain que la portée de cette disposition soit aussi large. Le libellé de l'art. 11 de la LACC s'applique malgré « toute disposition de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité ou de la Loi sur les liquidations et les restructurations…mais sous réserve des restrictions prévues par la présente loi », tandis que d'autres dispositions de la LACC s'appliquent par « dérogation au droit fédéral et provincial » ou « par dérogation aux autres dispositions de la présente loi »,[1] ce qui laisse entendre que l’art. 11 de la LACC n'est peut-être pas suffisant pour déroger à l'art. 11.2 de la LACC, qui prévoit que la charge en faveur du préteur temporaire peut être ordonné sur demande de « la compagnie débitrice ». Cela reste à être déterminé par un tribunal.

[1] Art. 11.8(3), 11.8(5) and 11.8(8)(b) LACC.