L’importance de bien négocier et rédiger les clauses de changement défavorable important : L’affaire Fairstone Financial Holdings Inc. v. Duo Bank of Canada

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Auteurs: Nicolas Beaudin, Louis-Paul Gamache

Publication | 10 février 2021

L’incertitude sans précédent causée par la soudaine pandémie de Covid‑19 ont amené de nombreuses entreprises à réévaluer leurs stratégies commerciales et leurs plans de croissance.

Dans une décision récente, l’Honorable Markus Koehnen, juge de la Cour supérieure de l’Ontario, a refusé de donner lieu à l’annulation, entre la signature et la clôture, d’une transaction d’envergure et ce, bien que la pandémie puisse à première vue constituer un effet défavorable important (material adverse effect). En effet, le libellé de la clause permettant à l’acheteur d’invoquer ce moyen comportait des exceptions qui trouvaient application en l’espèce [1].

Cette décision nous rappelle l’importance primordiale de bien négocier et rédiger les clauses de changement défavorable important (material adverse change) ou d’effet défavorable important (material adverse effect). Ces clauses (les « Clauses MAC ») sont fréquentes dans les accords d’acquisition et de financement et peuvent permettre à une partie de se retirer d’une transaction lorsque survient un changement défavorable important.

Les faits

Le 18 février 2020, soit moins d’un mois avant que l’Organisation mondiale de la santé ne déclare une pandémie mondiale en raison de l’éclosion de la Covid‑19, Duo Bank of Canada (« DBC ») a conclu une convention d’achat d’actions (Share Purchase Agreement) (la « Convention ») avec Fairstone Financial Holdings Inc. et ses filiales (collectivement, « Fairstone »), une importante société de financement à la consommation, aux termes de laquelle DBC s’est engagée à acheter toutes les opérations commerciales de Fairstone. La clôture de la transaction était prévue pour le 1er juin 2020 avec un prix de vente estimé à plus d’un milliard de dollars [2].

Le 27 mai 2020, DBC a avisé Fairstone qu’elle ne complèterait pas la transaction, au motif que la pandémie constituait un « Material Adverse Effect » au sens de la Convention. Fairstone a demandé à la Cour d’ordonner à DBC de compléter la transaction.

La décision

La décision de la Cour repose entièrement sur l’interprétation de la Convention.

Le juge Koehnen devait interpréter l’article 6.2 de la Convention, lequel prévoyait en faveur de l’acheteur la condition de clôture suivante :

Between the date of this Agreement and the Effective Time, there shall not have occurred a Material Adverse Effect.

L’expression « Material Adverse Effect » était par ailleurs définie dans la Convention comme suit :

“Material Adverse Effect” means a fact, circumstance, condition, change, event or occurrence that has (or would reasonably be expected to have) individually or in the aggregate, a material adverse effect on the Business, operations, assets, liabilities or conditions (financial or otherwise) of the Acquired Companies, taken as a whole; except to the extent that the material adverse effect results from or is caused by :

(i) worldwide, national, provincial or local conditions or circumstances, whether they are economic, political, regulatory (including any change in Law or IFRS) or otherwise, including war, armed hostilities, acts of terrorism, emergencies, crises and natural disasters;

(ii) changes in the market or industry in which the Acquired Companies operate;

[…]

(iv) the failure of any of the Acquired Companies to meet any internal, published or public projections, forecasts, guidance or estimates, including without limitation of production, revenues, earnings or cash flows (it being understood that the causes underlying such failure may be taken into account in determining whether a Material Adverse Effect has occurred);

[…]

provided, however, that in the case of the events described in each of the clauses (i) and (ii), that such events do not have a materially disproportionate adverse impact on the Acquired Companies relative to other Persons in the industries or markets in which the Acquired Companies operate.

Le débat devant la Cour portait dès lors sur l’interprétation des exclusions spécifiques prévues aux paragraphes (i), (ii) et (iv) de la définition de « Material Adverse Effect ».

Suite à une revue assez exhaustive de la jurisprudence en matière de Clauses MAC et de la preuve présentée, le juge Koehnen a reconnu que la pandémie avait eu un effet défavorable important sur les finances et les affaires de Fairstone [3]. Par contre, la Cour a refusé de donner lieu à l’annulation de l’entente d’acquisition par DBC, puisque les exclusions décrites aux paragraphes (i), (ii) et (iv) s’appliquaient.

Les exclusions

En premier lieu, bien qu’un effet défavorable important ait clairement été causé par la pandémie, celle‑ci correspondait à une situation d’urgence mondiale, ouvrant la porte à l’exclusion prévue au paragraphe (i), laquelle est formulée en termes généraux [4].

En deuxième lieu, les changements dont DBC se plaignait étaient des changements dans l’ensemble du marché et de l’industrie dans lesquels Fairstone opérait. Il ne s’agissait donc pas de changements propres à Fairstone, ce qui déclenchait l’application de l’exclusion prévue au paragraphe (ii) [5].

En troisième lieu, la Cour a estimé que DBC se plaignait essentiellement d’une baisse des performances financières de Fairstone due à la pandémie par rapport aux projections contenues dans son plan financier, de sorte que l’exclusion relative à la non‑réalisation des projections financières trouvait également application [6].

De surcroît, Fairstone n’était pas disproportionnellement affectée par la pandémie en comparaison des autres acteurs de la même industrie.

Il appert que Fairstone a négocié une définition assez restrictive de « Material Adverse Effect ». Aux termes de la Convention, négociée entre deux parties très sophistiquées, DBC supportait à la fois les risques systémiques et les risques de l’industrie du financement. C’est pourquoi, la Cour a donné raison à Fairstone et ordonné à DBC de compléter la transaction [7].

La durée significative

Citant la jurisprudence, tant canadienne qu’américaine [8], le juge Koehnen note par ailleurs que l’effet défavorable important doit être d’une durée significative afin de constituer un motif valable pour mettre fin à une convention. DBC a déposé des projections démontrant que la pandémie pourrait avoir des effets négatifs sur les affaires de Fairstone jusqu’en 2022. Selon le juge Koehnen, ce n’était pas une durée significative en l’espèce. La preuve indiquait que DBC achetait Fairstone pour le long terme. DBC voyait l’acquisition de Fairstone comme une opportunité de réaliser des synergies pouvant diminuer le coût des fonds de Fairstone et augmenter les bénéfices des entreprises combinées. Les synergies n’avaient de sens que dans le cadre d’un investissement à long terme [9]. DBC n’a pas réussi à démontrer que la pandémie affecterait le besoin à long terme de financement des particuliers [10].

La conclusion

Cette décision démontre l’importance de bien adapter la rédaction d’une Clause MAC.

Les Clauses MAC sont présentes dans l’environnement transactionnel canadien, ainsi que dans l’écosystème du financement où un changement défavorable important peut, dans certains cas, constituer un cas de défaut en vertu d’une convention de crédit.

Les bouleversements causés par la pandémie mettent en lumière l’importance pour les parties de considérer les balises d’interprétations des Clauses MAC et de s’entendre lors de la négociation d’ententes contractuelles sur l’attribution des risques systématiques, des risques d’industrie et des risques propres à l’entreprise elle‑même, et de rédiger les Clauses MAC en conséquence.

[1] Fairstone Financial Holdings Inc. v. Duo Bank of Canada, 2020 ONSC 7397.

[2] Id., par. 13.

[3] Id., par. 5.

[4] Id., par. 98 et suivants.

[5] Id., par. 105 et suivants.

[6] Id., par. 6.

[7] Id., par. 376.

[8] Id., par. 77-81.

[9] Id., par. 81.

[10] Id., par. 83.