Régimes de retraite à prestations déterminées et la Loi sur la protection des pensions : les prêteurs doivent se méfier

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Auteurs: Justin Reiter et Nicolas Brochu

Publication ǀ 10 mai 2023

Les prêteurs, les investisseurs et les professionnels de l’insolvabilité comprennent bien les risques associés aux régimes de retraite à prestations déterminées (les « RPDs ») au Canada.[1] Bien que la popularité des RPDs ait diminuée – lors des 20 dernières années, le pourcentage de souscription à ces régimes parmi les employeurs est passé de 21,3% en 2000 à 9,6% aujourd’hui[2] – plusieurs entreprises canadiennes sont encore liées par ceux-ci.

Les RPDs posent certains risques pour les créanciers. Contrairement aux régimes à cotisations déterminées, ils peuvent être sous-financés, étant donné que l’employeur assume les risques d’investissements et les risques démographiques.

Il y a sous-financement lorsque les actifs du fonds de pension sont insuffisants pour assurer le paiement des prestations actuelles et futures. Un tel sous-financement crée un passif, car l’employeur se voit obligé de verser de l’argent ou d’autres actifs de façon à permettre au fonds d’honorer ses obligations au fur et à mesure qu’elles deviennent dues. La science actuarielle permet de dresser un tableau plus clair des actifs et des passifs des RPDs, mais ceux-ci restent soumis aux risques économiques et aux risques liés à l’espérance de vie. Un exemple s’impose : l’augmentation de l’espérance de vie au Canada par une seule année peut occasionner une hausse substantielle des obligations liées aux RPDs d’une entreprise.

Présentement, la Loi sur la faillite et l’insolvabilité (la « LFI ») traite la plupart des obligations des fonds de pension comme des créances ordinaires, c’est-à-dire qu’elles prennent rang à la fin de la chaîne de distribution. À l’heure actuelle, on considère généralement que les seules obligations des régimes de retraite impayées en date d’une faillite qui bénéficient d’une priorité sont les suivantes :[3]

  • les sommes qui ont été déduites de la rémunération des employés pour versement au fonds de pension;
  • les coûts normaux[4] relatifs aux RPDs et les cotisations déterminées qu’un employeur est tenu de verser; et
  • les sommes à être versées à l’administrateur d’un régime de pension agréé collectif, le cas échéant.

Par conséquent, nombre de retraités ont, par le passé, vu leurs bénéfices réduits lorsque leur employeur est devenu insolvable ou failli. Nortel et Sears Canada en sont des exemples.

La Loi sur la protection des pensions (la « Loi ») change la donne. Selon l’honorable David M. Wells, parrain de la Loi au Sénat, son objectif est clair : « les travailleurs ayant un régime de retraite à prestations déterminées [devront] être payés en priorité en cas de faillite de l’entreprise ».[5]

La Loi protège les RPDs de deux façons. Premièrement, elle préserve les obligations liées aux RPDs en assurant que leur paiement intégral soit une condition préalable à l’approbation de tout compromis, arrangement ou proposition. Deuxièmement, elle confère aux réclamations liées aux RPDs une super-priorité en cas de liquidation.

Pour ce faire, elle modifie la LFI, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (la « LACC ») et, dans le même ordre d’idées, la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension (la « LNPP »).

Propositions et plans d’arrangement

La Loi prévoit qu’aucune restructuration – par le biais d’une proposition, d’un compromis ou d’un arrangement – ne peut être approuvée par un tribunal à moins que le paiement des montants suivants y soit prévu :[6]

  • la somme égale au total des paiements spéciaux, établis conformément à l’article 9 du Règlement de 1985 sur les normes de prestation de pension[7], que l’employeur est tenu de verser au fonds pour la liquidation d’un passif non capitalisé ou d’un déficit de solvabilité; et
  • toute somme requise pour la liquidation de tout autre passif non capitalisé ou déficit de solvabilité du fonds établi au moment du dépôt de l’avis d’intention ou, à défaut d’avis, de la proposition sous la LFI, ou de la date à laquelle des procédures ont été intentées sous la LACC

(collectivement, les « Montants déficitaires »).

Les Montants déficitaires vont bien au-delà de ce qui est expressément protégé par la législation existante en matière d’insolvabilité. Plus particulièrement, ils couvrent et s’appliquent à tout déficit actuariel d’un RPD. En d’autres mots, à tout montant nécessaire pour combler une lacune dans la mesure où une évaluation actuarielle démontre que le fonds n’est pas suffisamment capitalisé soit (i) pour payer les bénéfices qui deviendront exigibles si le régime est maintenu indéfiniment, soit (ii) pour satisfaire les obligations exigibles en cas de liquidation du régime.

Super-priorité

Si une entreprise ne tente pas – ou ne parvient pas à conclure – une restructuration, la Loi prévoit que les Montants déficitaires bénéficieront d’une super-priorité dans le cadre de la vente et de la distribution des actifs de l’entreprise ou de sa mise sous séquestre.

Plus précisément, les Montants déficitaires seront garantis sur tous les actifs de l’entreprise et cette garantie aura priorité sur tout droit, sûreté, charge ou réclamation grevant les biens de l’entreprise, peu importe la date à laquelle ils ont pris naissance, à l’exception de :

  • les droits des fournisseurs impayés de reprendre possession des biens;[8]
  • les droits spéciaux des agriculteurs, des pêcheurs et des aquiculteurs;[9]
  • certains montants réputés détenus en fiducie, habituellement composés de retenues à la source non remises aux autorités fiscales;[10] et
  • la sûreté relative aux salaires ou autre rémunération pour services rendus dans les six mois précédant la faillite ou la mise sous séquestre – jusqu’à concurrence de 2 000$ par réclamation.[11]

En passant de la dernière place à la première, les Montants déficitaires augmentent le risque des créanciers garantis, qui verront leur créance subordonnée à tout déficit actuariel du fonds de pension.

À retenir

La plupart des RPDs souscrits par les employeurs canadiens sont suffisamment capitalisés. Selon un rapport récent, près de 79% des RPDs affichaient un excédent d’actifs selon l’approche de solvabilité à la fin de l’année 2022.[12]

Néanmoins, les obligations liées aux RPDs peuvent être considérables, allant de millions de dollars jusqu’à des milliards. Ainsi, tout déficit potentiel peut représenter un risque supplémentaire pour la position d’un créancier garanti.

La santé financière d’un RPD peut être divulguée dans les états financiers d’une entreprise et détaillée dans les notes s’y rapportant. Avec l’entrée en vigueur de la Loi, les créanciers garantis devraient revoir leur portefeuille de prêts et évaluer les obligations potentielles de leurs clients en lien avec les RPDs. Ce faisant, ils devraient garder à l’esprit que l’évaluation des obligations en matière de prestations déterminées et de la juste valeur des actifs des fonds de pension est toujours susceptible de changer. Comme nous l’avons souligné, les conditions du marché, les taux de rendements, les décisions d’investissement et les risques liés à l’espérance de vie peuvent tous avoir une incidence sur les obligations d’une entreprise au titre d’un RPD.

Dans un tel contexte, les créanciers garantis seraient bien avisés de s’assurer que les obligations d’information des débiteurs sont adéquates et de procéder à des analyses périodiques détaillées au cas par cas pour évaluer leur niveau de risque à l’égard des obligations de retraite potentielles et ajuster leurs sûretés, leur taux d’intérêt et leurs limites de crédit en conséquence.

Notes finales

La Loi a été sanctionnée le 27 avril 2023.

La Loi prévoit une période transitoire de quatre ans avant qu’elle ne s’applique aux RPDs existants.[13]

Afin de promouvoir la transparence du financement des RPDs, la Loi exige également que le surintendant des institutions financières fasse rapport, à la fin de chaque exercice, sur les activités de la LNPP, sur l’état des besoins de financement des régimes de retraite et sur toute mesure corrective prise ou ordonnée.[14] Ce rapport sera remis au ministre des Finances, qui en déposera copie au Parlement. Ce rapport sera également transmis aux ministres provinciaux concernés.

Mise en garde : cette publication a pour but de donner des renseignements généraux sur des questions et des nouveautés d’ordre juridique à la date indiquée. Les renseignements en cause ne sont pas des avis juridiques et ne doivent pas être traités ni invoqués comme tels.

[1] Selon Statistique Canada, l’adhésion aux régimes de retraite à prestations déterminées est dominée par le secteur public, de l’ordre de 72,5% en 2020 (https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/210629/dq210629c-fra.htm).

[2] Discours de l’honorable David M. Wells, Débats du sénat, 1ère Session, 44e Législature, Volume 153, Numéro 92 (14 décembre 2022).

[3] LFI, art 81.5.

[4] Le coût des prestations, à l’exclusion des paiements spéciaux requis par la loi, qui doivent s’accumuler au cours d’un exercice, tel que déterminé sur la base d’une évaluation du régime en fonctionnement.

[5] Supra note 2.

[6] Arts 2 et 5 de la Loi.

[7] DORS/87-19.

[8] LFI, art 81.1.

[9] LFI, art 81.2.

[10] LFI, art 67(3).

[11] LFI, art 81.3.

[12] Les régimes de retraite PD en meilleure posture financière à l’aube de 2023 qu’au début de 2022: Mercer, Mercer Canada, Montréal (3 janvier 2023), https://www.mercer.ca/fr/salle-de-nouvelles/indice-mercer-de-la-sante-financiere-des-regimes-de-retraite-t4-2022.html?bsrc=mercer.

[13] Art 7 de la Loi.

[14] Art 6 de la Loi.